Laboratoire de recherche en Paléomagnétisme

et Géologie marine


Québec Science Février 2009

mardi 12 janvier 2010

Paru dans Québec Science Février 2009 :

Déluge dans le Grand Nord

Le gigantesque lac Agassiz-Ojibway s’est vidé d’un coup. Une tragédie enfin expliquée.

Par Joël Leblanc

Sur la carte du Canada, le lac Supérieur est immanquable. C’est le plus étendu des Grands Lacs. Il y a 8 000 ans, il avait un rival. Le lac Agassiz-Ojibway contenait 15 fois plus d’eau que lui : 200 000 km3.

Et puis, la catastrophe : ce lac s’est vidé. En une seule année. La baie d’Hudson en porte encore les traces.

Sur cette image en trois
dimensions du fond marin de la
baie d’Hudson, on distingue
de grandes dunes de sable
sous-marines. Elles ont été
modelées par les puissants
courants générés par la vidange
du lac glaciaire Agassiz-Ojibway.


« Après avoir balayé le fond de la baie sur 10 500 km avec un échosondeur multifaisceaux, nous avons repéré les traces évidentes de la vidange de ce lac vers la mer », explique Patrick Lajeunesse, géomorphologue au département de géographie de l’Université Laval et membre du Centre d’études nordiques. Il a passé plusieurs semaines dans la baie d’Hudson à bord du navire de recherche Amundsen. Avec son collègue Guillaume St-Onge, de l’Université du Québec à Rimouski, il a réalisé les relevés topographiques du fond de la baie les plus précis à ce jour.

« Un échosondeur multifaisceaux, c’est un appareil qui émet des sons sous l’eau, explique-t-il. Ceux-ci frappent le fond et tout ce qui s’y trouve, et reviennent vers la surface sous la forme d’échos que l’appareil capte. Le temps requis entre l’aller et le retour permet d’estimer la profondeur de l’eau. » L’engin, installé sous la coque de l’Amundsen, est si précis que le balayage permet de repérer des formes sous-marines d’un mètre ou plus et de fournir une « photographie sous-marine » très détaillée du relief.

Or, cette photographie montre des indices évidents d’un grand bouleversement. Il y a notamment ces chenaux qui semblent arriver du nord-ouest vers le centre de la baie. Pour le géomorphologue, il y a peu de doute : « De toute évidence, il s’agit de la trace laissée par un fort courant qui arrivait de la terre ferme. » On trouve aussi, dans le secteur sud, des dunes de sable de quelques mètres de hauteur – comme celles formées par les vents du désert – qui n’ont pu être modelées par les courants actuels, lesquels ne sont pas assez forts et ne sont pas correctement orientés. Enfin, dans le centre-nord, on voit des cicatrices d’icebergs en paraboles et orientées dans une même direction.
Patrick Lajeunesse
Pour compléter ces observations, les chercheurs ont extrait des carottes de sédiments marins dans lesquelles une couche, datée de 8 200 ans, correspond au moment où le lac s’est retiré. « C’est une couche de sédiments rouges qui varie de 10 cm à 30 cm d’épaisseur, selon les endroits, explique le géomorphologue. Il s’agit des sédiments terrestres qui ont été emportés par le drainage. Leur analyse géophysique a révélé la signature d’une crue massive. »

Tous ces indices ont permis aux chercheurs d’interpréter ce qui s’est passé. Ils ont publié les résultats dans la revue Nature Geoscience, en mars 2008.

Pour visualiser la scène, il faut reculer de 10 000 ans dans le temps. L’ère glaciaire, qui dure depuis 120 000 ans, est terminée, et le climat se réchauffe. L’immense calotte qui recouvre l’essentiel du territoire canadien actuel fond et retraite graduellement vers le nord. Cela donne naissance à de vastes étendues d’eau douce, notamment les ancêtres des actuels Grands Lacs.
Guillaume St-Onge
Il y a aussi deux immenses lacs un peu plus au nord, le lac Agassiz et le lac Ojibway, qui finissent par fusionner pour n’en former qu’un seul. Celui-ci s’étend de l’ouest du Québec à la Saskatchewan et baigne même les futurs États du Minnesota et du Dakota du Nord. « À un moment, explique Patrick Lajeunesse, la couche de glace est devenue assez mince et le niveau du lac assez élevé pour qu’elle se soulève et se mette à flotter sur cette eau douce. L’eau a alors pu s’infiltrer sous la glace et s’échapper vers la baie d’Hudson. »

C’était le début de la fin pour le lac Agassiz-Ojibway. « Jusqu’à présent, on supposait que l’eau du lac était passée par une brèche dans la glace et qu’il avait mis plusieurs dizaines d’années à se vider. Nos observations démontrent plutôt une vidange extrêmement rapide, probablement moins d’un an. »

Du grand lac Agassiz-Ojibway, il n’est resté que quelques « flaques », comme le lac Winnipeg et le lac Manitoba. Et, quoique les dates ne coïncident pas tout à fait, ce gigantesque événement pourrait être à l’origine d’un refroidissement soudain et généralisé de l’Europe survenu il y a environ 8 200 ans. L’eau très froide du lac, en envahissant la baie d’Hudson et en se propageant dans l’Atlantique Nord, a pu bouleverser le régime des courants marins, dont le fameux Gulf Stream qui tempère normalement le climat de l’Europe.

« Le déversement semble s’être fait en deux étapes, à deux endroits distincts », poursuit Patrick Lajeunesse. On en aura bientôt le cœur net, car l’équipe retournera sur place à l’été 2009 pour écrire la suite de l’histoire.

Extrait de : http://www.cybersciences.com/cyber/fr/magazine/fevrier_2009/les_decouvertes_de_l_annee/deluge_dans_le_grand_nord.html

Vous pouvez lire l’article original en PDF ci-dessous.


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DélugeQSfev2009

13 janvier 2010
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